l'éveil du coeur - contributions
l'éveil du coeur - contributions
dans la lumière
auteur : françois-marie périer
le site des temples d'angkor s'étend sur plusieurs dizaines
de kilomètres au milieu des plaines sans fin, des rizières
éblouissantes et des forêts vierges du cambodge.
la récente pacification du pays permet à nouveau
aujourd'hui, 150 ans après sa redécouverte par
le monde entier, la visite de ce qui est l'une des plus fabuleuses
merveilles du monde. l'impression unique produite par l'ancienne
capitale khmère n'est pas simplement due à sa
monumentalité. on le sent, on le sait quand on l'approche,
ce lieu est sacré au plus haut point: il relie la terre
au ciel, l'homme aux dieux et aux bouddhas, et surtout, avant-tout,
à lui-même. extraits de notes d'un voyage et de
quelques études.
arriver à angkor par la terre, en venant de la thaïlande
, en pick-up, ou par voie d'eau, en venant de phnom-penh en
bateau via le tonlé sap, est déjà en soi
le début d'une aventure, les prémisses d'une initiation.
la route est longue, éprouvante, parfois incertaine en
raison des précipitations qui la creusent et la noient.
le fleuve est parfois le théâtre d'étranges
rencontres avec des bandits de grands chemins. mais le site
en vaut la chandelle.
le temple et l'homme entre terre et ciel
en arrivant face à angkor vat, qui déploie son
immensité au bout d'un plan d'eau verte où s'ébattent
nus des enfants dans l'insouciance retrouvée de leur
pays, on est frappé de stupeur et de respect: la vision
tient du mirage et du miracle, d'un autre monde. la légende
dit qu'un homme fut autrefois enlevé par les dieux qui
habitent au ciel. il vécut quelques temps parmi eux puis
redescendît sur terre. il fit alors le récit de
son voyage et des lieux qu'il avait connus, et du récit
de son voyage, les hommes firent angkor vat. angkor vat se présente
donc comme la reproduction de la ville des dieux ici-bas. le
fait, ou le mythe, comme on voudra, mérite qu'on s'y
attarde. il s'agit évidemment d'un exemple d'architecture
sacrée: les structures, les orientations, les proportions
obéissent à des lois qui mettent le temple en
harmonie à la fois avec l'architecture du cosmos et de
l'homme: le temple est à la fois un anthropocosme et
un macrocosme, selon la loi exprimée par hermès
trismégiste, le grand initié de l'egypte antique,
auteur de la table d'emeraude: "ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas, afin que se réalise le miracle
de l'unité." orienté vers l'est, comme les
cathédrales dont il est contemporain, xi°-xii°
siècles, angkor vat rend ainsi hommage au soleil, symbole
universel de la lumière divine. il s'étage sur
plusieurs niveaux, qui représentent la trilogie de la
constitution occulte de l'homme: corps physique d'abord, puis
le quaternaire de l'âme: corps éthérique,
corps astral, corps mental, corps causal, et enfin l'esprit.
lors des cérémonies, les prêtres gravissaient
lentement les marches menant aux plus haut point de l'édifice
qui, à l'instar de la montagne, permettait la rencontre
de l'humain et du divin. et puis, comme le relève pierre
grison dans son ouvrage angkor au centre du monde, (dervy-livres),
angkor vat, et tout le site avec lui, sont situés dans
l'axe du méridien 100, celui qui passe par le massif
du k'ouen-len, considéré en chine comme le "centre
du monde", tel le mont méru en inde. le lieu est
donc un point qui, tel un chakra terrestre, un vortex, concentre
à la fois l'énergie terrestre et céleste
et ouvre un pont à l'homme entre les dieux. est-ce un
hasard d'ailleurs si angkor se lit en anglais anchor, l'ancre:
les temples seraient l'ancre laissée sur terre par le
grand vaisseau des étoiles? la "langue des oiseaux"
est souvent la clef de bien des énigmes.
peuple des étoiles
si nous nous penchons maintenant à nouveau sur la légende
évoquée plus haut, une thèse d'interprétation,
qui allie l'audace à la séduction de sa rigueur
historique, retient le chercheur curieux. angkor, on l'a vu,
est le lieu de l'union, souvent violemment conflictuelle par
le passé, entre les xii° et xiv° siècles,
des cultes hindouiste et bouddhiste. ces deux religions - le
mot convient, s'agissant de bouddhisme mahayana, le "grand
véhicule"- comptent d'innombrables dieux, la plupart
d'origine hindoue, intégrés ensuite par les bouddhistes.
si l'on relie les textes de la mythologie indienne, on apprend
que ces dieux se combattaient sur des vimana, des boucliers
volants, à l'aide d'armes extraordinaires qui réduisaient
tout en cendres et empêchaient toute forme de vie de reprendre
ensuite où elles avaient frappé. on croirait lire
aussi certaines visions bibliques du char de dieu et des récits
de destruction de sodome et gomorrhe... or, selon certains auteurs
de ce qu'il est convenu d'appeler l' "astro-archéologie",
la structure d'angkor vat correspondrait tout simplement à
celle d'un immense vaisseau spatial d'un peuple du ciel: celui
des dieux qui instruisirent l' "abducté" qui
relata ensuite sa vision. on voit comment, ici encore, les thèses
les plus récentes rejoignent la légende.
le bouddha de la grande compassion
mais angkor reste avant tout, dans la conscience collective
de l'humanité, la ville des bouddhas, comme en témoigne
l'ouvrage récent de anne et daniel meurois-gévaudan,
celui qui vient.
l'omniprésence des bouddhas, les eveillés, tient
historiquement au règne d'un grand roi, jayavarman vii,
aussi connu comme le "roi lépreux", titre d'un
livre de pierre benoît, qui écrivit aussi le pèlerin
d'angkor. ce souverain qui règna de la fin du xii°
au début du xiii° siècles se distingua par
son habileté à gouverner, son faste, ses esclaves,
ses centaines de concubines et ses oeuvres de bienfaisance,
et la ville compta alors jusqu'à un million d'habitants.
mais surtout, pour l'histoire, pour l'art et la légende
à venir, il s'identifia au grand bodhisattva avalokitésvara,
le bouddha de toute compassion venu s'incarner sur la terre
pour le bien de tous les êtres vivants. associé
au dieu hindou ishvara, avalokiteshvara, aussi appelé
tchenrezi au tibet, deviendra lokeshvara à angkor. jayavarman
vii le fit représenter sous ses propres traits sur les
grandes tours à quatre faces d'un autre des monuments-symboles
du site: le bayon d'angkor thom. partout dans ce temple carré
s'élève le visage de l'eveillé, qui fixe
bienveillamment mais impitoyablement le visiteur dans la clarté
de sa conscience. les tours sont au nombre de 54, ce qui donne
216 visages... du bayon part une grande allée elle-même
bordée de deux rangées de 54 dieux et 54 asuras,
ou démons, tirant sur une corde. il s'agit d'une scène
du mahabbarata, grand livre de la mythologie indienne: au terme
de cet affrontement, les dieux l'emportèrent et l'océan
de lait fut baratté, permettant la solidification du
monde... de la dualité nait la vie. cette grande allée
mène à victoria gate, la porte de la victoire,
celle des dieux bien sûr, où une ultime et gigantesque
tête de lokeshvara nous regarde arriver puis passer sous
son arc, toujours ce sourire ce celui qui sait sur des lèvres
qui se taisent...
nombres sacrés
108, le nombre des dieux et démons, le double du nombre
de tours et la moitié des visages du bodhisattva, est
le nombre du bouddha. en effet, c'est celui des perles du collier
de son cou, celui des boucles de sa chevelure, celui des incarnations
dont l'homme dispose pour s'éveiller et sortir de la
roue du samsara. angkor thom obéit aussi à des
lois architecturales précises. il est bien sûr
un immense mandala de pierre qui mettra sans doute des siècles
encore avant de devenir de sable et de se disperser. et cette
forme solaire agit directement sur l'âme puis sur l'homme
en le mettant en résonance avec cet archétype
que l'art sublime ici: la claire conscience, l'atman, la vérité
, le soi, ou quel que soit le nom qu'on donne à cette
transcendance qui nous habite, cet espace sacré est au
centre de toutes les formes de la manifestation. mais le mandala,
en terre orientale, ne peut que rappeler aussi les chakras qui
s'alignent le long de la colonne vertébrale de l'homme,
attendant leur éveil. les serpents, ou nagas, sont d'ailleurs
très présents en divers lieux. ils représentent
à la fois la kundalini qui réalise l'éveil
effectif des chakras, et les instructeurs de la sagesse initiatique.
d'autres temples sont à angkor des mandalas, tels angkor
vat bien sûr, mais aussi le pre rup ou le bakong, ce dernier
étant situé beaucoup plus au sud d'angkor thom
et d'angkor vat. chacun d'eux recqerrait une étude détaillée
de son symbolisme et de sa cohérence dans l'ensemble
du site, ce qu'il serait beaucoup trop long de faire ici.
le rêve et l'eveil
mieux vaut évoquer la belle histoire d'un songe que
fit un habitant du lieu il y a quelques décennies de
cela. il rêva qu'un bouddha lui demandait de venir le
réveiller, car le monde avait besoin de lui. le khmer
qui fit ce rêve situa trés bien le lieu dont il
était question. il en parla aux responsables de l'ecole
française d'extrême-orient, qui dirigeait et dirige
à nouveau les travaux depuis la fin des combats. ceux
ci se rendirent sur les lieux, creusèrent et découvrirent
en effet une superbe statue de l'eveillé. cette histoire
est à l'image d'angkor: entre le rêve et la veille,
voie vers l'eveil. la cité extrême-orientale est
pleine de signes qu'il fait suivre et respecter, car le sacré
se reconnaît autant à ses merveilles qu'à
sa puissance. a l'instar des pyramides égyptiennes auxquelles
des "malédictions" semblent attachées,
angkor révèle l'essence de ceux qui l'approchent
et touchent à son intégrité. ainsi, henri
marchal, un architecte français de l'école évoquée
vivra pendant plus de quarante ans une histoire d'amour avec
les temples: il ne pouvait les quitter sans que ses successeurs
soient frappés de quelque maladie, sans que des malheurs,
un effondrement, frappent ses remplaçants. les khmers,
attentifs aux signes qui sont les voix des dieux ou des bouddhas,
ne s'y trompèrent pas: ils reconnurent vite l'homme comme
un sage en accord avec le dharma, la volonté supérieure
du lieu. il y était invulnérable, épargné
aussi bien par les maladies que par les pierres ou les serpents
ou les affrontements humains. a peine revenait-il que tout rentrait
dans l'ordre, à l'image de certains faiseurs de pluie
dont la seule présence suffisait à restaurer l'harmonie
dérangée dans la chine taoïste.
quitter angkor
l'émerveillement est partout à angkor. on croise
les apsaras, ces danseuses célestes aux formes troublantes,
dans une pierre plus vive que la chair même, on assiste
à l'apparition d'un bouddha décapité qui
médite depuis des siècles dans une cellule à
la fraîcheur bénie, on évite impuissant
les racines colossales des banyans qui glissent sur les pierres
comme les serres d'un aigle, les griffes d'un fauve ou le corps
d'un serpent, appelant les temples à disparaître,
on voit passer les mêmes éléphants que ceux
qui ont bati la ville il y a dix siècles, cette ville
dont seule demeure la pierre sacrée des temples aujourd'hui,
le reste, de bois ayant brûlé, ou ayant fini abandonné
par l'exode de la population vers une nouvelle capitale, phnom
penh, au xv°siècle... et les mêmes vaches nous
regardent passer sans perdre un instant de leur lenteur sacrée.
même si la chaleur est souvent terrible, même si
la visite des temples immenses et éloignés les
uns des autres se transforme parfois en épreuve, on sait
que, comme toute épreuve, elle transforme et enrichit.
et puis, il y a les enfants, leur regard à la fois innocent,
profond mais derrière lequel on connaît la terrible
souffrance du génocide khmer rouge, dont les plaies commencent
à peine à se refermer peu à peu, dont les
membres emportés par les mines de ces enfants rappellent
la folie. la présence de ce petit peuple qui repousse
sur les cendres, les ruines et les sépulcres, partout
sur ce qui est pour eux un grand parc de jeux comme n'en connaissent
aucuns autres de leurs frères du monde, est en elle-même
un enseignement: celui de la joie de vivre, de la compassion,
de la tendresse et de la beauté de ces visages graves
et rieurs, prêts à tout recommencer si on leur
tend une main, si quelqu'un leur sourit. le gouvernement cambodgien
voudrait attirer ici 5 millions de visiteurs par an. pour l'instant
encore difficilement accessibles, les temples sont dans leur
écrin de jungle, de silence et de mystère. il
ne faut plus trop attendre pour trouver le rêve intact.
après, on quitte angkor, mais angkor ne nous quitte pas.
parce qu'elle est tout entière le symbole de notre être
intérieur, parce que sa leçon est trop forte pour
être oubliée, parce que la cité des dieux
est à la fois au bout et au centre du monde et de nos
rêves.
bendha, la fête des
morts
(publié dans bouddhisme actualité, oct. 2001)
la compassion n'a de sens que si elle s'adresse et profite
à tous les êtres de tous les mondes.
même si on oppose parfois facilement le bodhisattva du
mahayana, qui reste dans le samsara pour la libération
de tous les êtres, à l'arhat du hinayana, qui désire
l'extinction finale dans le nirvana, la réalité
humaine des rites et des traditions est souvent beaucoup plus
nuancée et riche. en témoigne la fête des
morts bouddhiste, célébrée dans les pays
du petit véhicule, qui nous invite à méditer
sur le sens de ce grand rite de passage qu'est la désincarnation,
et sur notre attitude à avoir envers les disparus qui
nous furent et nous restent proches.
la mort au cœur de la vie
samyoz est un bonze cambodgien du vat - temple bouddhiste -
de marseille. dans la salle où règne une agitation
bon enfant, il est assis seul sur la scène. devant lui,
trois bâtons d'encens brûlent, symbolisant le tripitaka,
la triple corbeille: bouddha, dharma, sangha. aujourd'hui, dimanche
9 septembre, il se trouve à grenoble pour célébrer,
au sein de la communauté khmère, ce qui est nommé
dans sa langue d'origine pchuom ben, la fête des morts,
bendha en pali. le terme signifie précisément
"réunir le riz pour l'offrir". les plats qui
affluent de toutes parts, préparés avec soin par
les fidèles, sont loin de comporter uniquement du riz,
mais l'offrande est bien là, et le moine va devoir la
transmettre aux morts de toute la communauté, se faisant
à l'occasion le passeur d'un autre genre, vers une autre
rive. la cérémonie a débuté par
l'acceptation rituelle de la nourriture. puis les prières
se sont élevées, les mains se sont jointes et
chacun s'est intériorisé. la pensée de
la mort oblige à voir plus loin, à chercher plus
profondément, et amène au silence. c'est la grande
compagne du méditant.
samioz a ensuite prononcé un court sermon sur le dharma,
et le temps de l'offrande est arrivé. sur des papiers
figurent les noms des disparus, et il les récite et les
brûle un par un, signifiant par là l'envol des
mots et des morts vers l'invisible et le subtil. les cendres
qui demeurent évoquent le souhait de l'extinction suprême
dans le nirvana après le feu du samsara, puisque nous
sommes dans le theravada.
maintenant, les neuf prières pour les morts envahissent
le lieu. malgré la solennité du moment, le silence
est loin d'être complet: des gens parlent, des enfants
circulent, les plats arrivent. je me souviens d'une scène
dont j'avais été témoin à pashupatinam,
prés de katmandou, un des lieux saints de l'hindouisme,
puisque y passe un affluent du gange: à côté
d'une cérémonie mortuaire de crémation,
des enfants se baignaient, insouciants et joyeux, sans que personne
ne s'en offusque. le contraste n'avait rien de choquant, mais
exprimait plutôt la continuité de la vie. a quelques
mètres de là, un jeune bonze se purifiait dans
la même rivière. ce que l'on peut prendre pour
de l'irrévérence revêt une signification
plus profonde pour qui veut s'interroger sur la mort. dans les
traditions réincarnationnistes, la conscience du cycle
et de l'impermanence est beaucoup plus forte et s'exprime dans
les comportements: la fracture entre vie et mort est surtout
apparente et due aux limitations de nos cinq sens. de plus,
la fête des morts est une occasion de réjouissance
commune aux désincarnés et aux vivants. comme
l'explique samyos: "si on ne fait que pleurer les morts,
finalement, on ne fait rien, et le mort est triste lui aussi.
alors, on fait une fête où tout le monde est réuni
dans la joie."
chaque famille a présenté le plat que les défunts
qu'elle désire honorer ou réconforter préférait.
le moine devra tous les bénir, puis les goûter
réellement ou symboliquement, et cela avant midi, la
prise de nourriture lui étant interdite après.
les morts qui ne se sont pas encore réincarnés
et demeurent dans des plans intermédiaires peuvent ainsi
se nourrir et profiter des mérites attachés à
une nourriture qui a été consacrée par
un moine. le hinayana se préoccupe peu des classifications
des mondes subtils: "le bouddha veut nous éveiller
dans le présent, et notre futur ne dépend que
de lui", précise samyos. l'offrande aidera les morts
à renaître sous une forme meilleure lors de leur
retour sur le plan physique. les vivants eux-aussi, par leur
compassion et le sacrifice de la nourriture, bénéficient
de ces mérites. le moine, quant à lui, reste cet
homme entre deux mondes, présent pour la libération
et le bien de tous les êtres.
le sens de la fête
quels sont l'origine et le sens spirituel de cette fête?
samyos raconte: "a l'époque du bouddha, il y avait
un roi qui faisait beaucoup de choses, mais il ne pensait pas
à ses ancètres. sa gloire était grande,
mais il les avait oubliés. alors, ceux-cis lui apparurent
pendant la nuit pour lui demander de partager. il en parla au
bonze du palais, qui rapporta la question au bouddha. c'est
ainsi que fut instaurée la fête où l'on
transmet la nourriture aux ancêtres en même temps
que notre gratitude. et surtout, au mois de septembre, en asie,
on est plus libre du travail aux champs, et on peut se réunir,
avec les personnes agées, et se rappeler les morts, montrer
aux enfants qu'on a beaucoup de parents qui ont fait beaucoup
de choses. cette fête dure traditionnellement quinze jours,
mais elle durait par le passé jusqu'à un mois.
elle existe dans tous les pays du petit véhicule, mais
aussi en chine. mais là-bas, elle est davantage liée
aux cultures. chez les khmers, c'est une fête des cultures
et bouddhiste. ailleurs, c'est simplement la fête de la
pleine lune de septembre, par rapport à laquelle est
calculée bendha.
tous les matins, il faut arriver à cinq heures à
la pagode. on fabrique ensuite les petits gateaux et on fait
les offrandes à ceux qui ne peuvent pas entrer et restent
autour de la pagode: les esprits mauvais et les animaux. puis,
dans la pagode, on récite des prières avec les
bonzes, les douze paragraphes pour rappeler le comportement
juste. on pratique ainsi tous les matins, avant d'offrir le
repas au bonze. et aprés quinze jours, c'est la grande
fête où tout le monde prend le repas en commun
aprés la cérémonie: les vivants et les
morts. brûler les papiers est un rappel de la fragilité
et de l'impermanence de notre corps et une invitation à
l'extinction du nirvana, où est la seule stabilité."
mais chaque jour est semblable à une vie, et c'est toujours
au présent, le lieu de la transformation, que nous renvoie
le rite qui sacralise l'instant en lui redonnant toute son importance.
"si on peut avoir les quatre éléments de
"dieu": amour universel, compassion, joie et equanimitié,
on peut atteindre à l'état de dieu. si, lorsqu'on
se réveille, on garde cet état de conscience dans
les quatre éléments, on peut être comme
un dieu. sinon, on retombe dans l'état habituel, comme
le mort qui se réincarne dans le samsara, et on est simplement
dans un état humain, en menant une vie saine et bonne.
et puis, il existe quatre états mauvais vers lesquels
on peut descendre: être comme un animal qui agit sans
réfléchir, ou comme un diable qui, à cause
du doute et de la peur, est torturé par la haine et le
désir. ou comme un fantôme qui ne sait pas où
il est et erre partout. et on peut, enfin, descendre jusqu'à
l'enfer. donc, au cours de chaque journée, l'homme peut
passer par ces trois mondes: le ciel, la terre et l'enfer. mais
le nirvana est en dehors de ces trois mondes. a travers la fête
des morts, il faut se rappeler de la brièveté
de la vie, de la soif d'exister qui apporte la souffrance. quand
un enfant vient au monde, il serre les poings et pleure. cela
signifie qu'il veut tout posséder, tout saisir, et que
cela le fait souffrir. le mort repart sans rien, les mains vides,
mais par nos actes, on peut lui transmettre du mérite
et lui apporter de la joie, et nos descendants en feront de
même. "
une méditation sur la vie
la mort revêt dans le bouddhisme diverses valeurs.
elle est, d'abord, un des quatre inévitables, à
côté de la maladie, de la souffrance et de la vieillesse.
en tant que telle, elle oblige à réévaluer
nos actes et leur véritable signification: quel est le
sens de mes choix, que va-t-il en rester face à l'épreuve
de la finitude? elle est donc directement liée à
l'impermanence, qui est une des premières choses à
comprendre, à expérimenter sur la voie. le bouddha
dit même que la vision, ne serait-ce qu'un instant, de
l'impermanence à laquelle sont soummis l'homme et le
monde tout entier, brûle plus de karma, et fait plus progresser
que beaucoup de compassion. on sait que bien des vies ont basculé
au contact de la souffrance et de la mort, vers une quête
du sens dont on ne s'était jusque là pas préoccupé.
dans l'hindouisme, on connaît la déesse kali,
déesse terrible de la mort, qui tue la mort elle-même:
c'est aussi le paradoxe de l'annihilation bouddhiste: mourir
au moi pour renaître à la conscience , à
la claire lumière , à la nature du bouddha en
nous.
un des enseignements les plus typiques de bendha est la réunion
de la vie et de la mort, qui nous oblige, une fois de plus,
à sortir de la dualité: si cette fête se
situe au moment de la récolte, si elle est liée
à la nourriture, qui sont autant de symboles de prospérité
et d'abondance et de vie, elle prend aussi place à la
fin de l'été, qui est un rappel de la finitude,
de la décroissance de la lumière et de la lente
descente vers l'hiver et le solstice. ainsi, la vie est indissociable
de la mort, et elle doit le rester dans la conscience quotidienne
du bouddhiste, non pour amener à un fatalisme et à
un pessimisme stériles, mais pour donner profondeur et
portée à ses actes. dans le dhammapada, on peut
lire cette parole rapportée du bouddha: "où
sont les rires et les chants quand le monde est en feu?"
si l'eveillé est célèbre pour son sourire,
il l'est autant par sa compassion: vivre sans tenir compte de
la souffrance du monde et sans rien y faire pour y remédier
est vivre en aveugle, et c'est contre cette cécité
que se lève le bodhisattva qui prononce son vœu:
"aujourd'hui, et pour le bien de tous les êtres,
je fais le vœu de m'éveiller." cependant, le
sérieux de la tâche est toujours équilibré
par l'humour des bonzes et de la sangha : pas de fausse gravité.
et cette légèreté vient, non de l'ignorance,
mais de la connaissance de l'impermanence qui inclut la mort
elle-même, laquelle est une étape intermédiaire
vers une autre incarnation.
cependant, cette étape requiert l'attention: elle n'est
pas une simple formalité transitoire. le livre des morts
tibétains insiste sur la possibilité de se libérer
lors de la désincarnation, si l'on est suffisamment détaché
pour échapper à l'attraction d'une nouvelle matrice.
le dalaï lama met d'ailleurs en garde les gens qui pensent
se faire une idée fidèle de la mort à travers
les expériences ou les récits de mort imminente
( nde ou emi), tels qu'on les trouve, par exemple, dans les
ouvrages de raymond moody. le temps entre deux incarnations
peut se prolonger et, dans l'attente de l'incarnation, la personnalité
du mort souffre de la même soif d'exister, a les mêmes
désirs et les mêmes attachements que ceux qu'elle
avait de son vivant. c'est aussi de cette connaissance que naît
la préoccupation d'offrir au mort les plats qu'il aimait
le plus, de voir réunis les gens qu'il portait dans son
coeur. l'offrande de nourriture est d'ailleurs une pratique
universelle dans l'antiquité, comme en témoignent
les tombes de toutes les traditions et leurs textes sacrés.
l'un de ses enseignements les plus célèbres sur
la mort est celui donné par le bouddha à une femme
venue le voir en larmes en raison de la disparition de son fils.
il l'envoya trouver une maison où il n'y avait jamais
eu de deuil; ce qu'elle fut incapable de faire. elle revint,
le message compris, et cessa de se révolter. sortir de
la dualité, c'est aussi cela: comprendre que la finitude
est incluse déjà en germe en tout acte, en toute
parole, et que prétendre les mettre au monde et en jouir,
sans les voir aussi disparaître et en souffrir, est impossible.
la relation instaurée par la fête des morts est
donc double: les vivants pensent aux morts, mais ainsi également,
la pensée de la mort vient aux vivants pour leur rappeler
l'urgence de la voie. dans la mythologie bouddhiste, le maître
des enfers et dieu des morts s'appelle yama. c'est lui qui envoie
aux hommes la vieillesse, la maladie, les souffrances de l'agonie
et les retrouve lors de la mort. mais les signes précurseurs
cités, qui font aussi partie des quatre inévitables,
sont considérés comme des messagers vers les hommes
pour leur rappeler qu'ils doivent mener une vie dans les pas
du bouddha. telle est la roue qui tourne, et ne peut tourner
sans que les extrêmes ne se rejoignent et s'engendrent.
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